Irène Frain et moi, c’est une longue histoire. Je l’ai découverte avant de la connaitre « en vrai ». Il me semble que le premier livre que j’ai lu d’elle était « La fille à histoires ». Par la suite, je me suis régalée avec « Désirs », « les Naufragés de l’île Tromelin » et bien sûr (comme nous partageons le même goût pour l’Inde) « le Nabab », « Devi » et « Gandhi, la liberté en marche ». Elle a peint de magnifiques portraits de femmes, dans « L’Inimitable Cléopâtre », « Beauvoir in love », « Marie Curie prend un amant » et le fabuleux « Je te suivrai en Sibérie » sur les pas de Pauline Annenkova. Son dernier livre dresse aussi un portrait de femme. Pas aussi célèbre que les précédentes. En fait, si peu célèbre que même son meurtre a été considéré « sans importance ». Et on n’aurait jamais connu l’histoire (et la fin horrible) de cette femme ordinaire si elle n’était pas la sœur d’Irène Frain.
Elle a été assassinée dans sa maison de région parisienne un samedi de septembre, beau et ensoleillé – comme celui où je commence ce billet. L’après-midi ? Le soir ? On l’ignore. « Pour trancher, il faudrait prendre connaissance du rapport du policier qui a dirigé les investigations (…), or « quatorze mois après les faits, celui-ci n’a rien transmis au tribunal » déplore Irène Frain. Elle a donc entrepris d’écrire quand ce silence lui est « devenu insupportable ». Avec une plume implacable, l’auteure commence par décrire l’environnement, cette banlieue de rêve pour les jeunes cadres des Trente glorieuses avec des champs, des forêts et des fermes où « on pouvait encore acheter du lait et des œufs frais ». Vingt ans plus tard, une noria de bulldozers va saigner le paysage pour y greffer des autoroutes, des rocades et plein de hangars à fast-foods, hôtels bas-de-gamme et « grandes surfaces ». « Le lotissement se retrouva encerclé par la civilisation » – et on pense à la sublime chanson de Nino Ferrer, la Maison près de la Fontaine https://www.youtube.com/watch?v=RgW_AX8cuqo
Irène décide d’« OUBLIER D’ATTENDRE » et entame alors un incroyable parcours de combattante. Rien ne lui sera épargné. Le silence de la police. Les atermoiements de la justice (« à croire que Thémis, la belle et sévère déesse dont la raide effigie s’affiche dans tous les tribunaux de France, a jeté on peplum par-dessus les moulins »). Et, tout aussi dur, la mise à l’écart de la famille – où on lit en filigrane les aléas de la célébrité.
Pour sortir de l’opacité, rompre avec la colère et la fureur, l’écrivaine puise dans ses souvenirs à l’aide de clichés en kodachrome et de rencontres avec le monde de la psychiatrie (Denise a été traitée au lithium). Elle tire le fil des événements mais c’est vraiment la déambulation dans la cité « presque trop tranquille » comme dit curieusement un passant, qui va l’éclairer. « Un quart d’heure dans cette ville et j’en apprenais davantage qu’en un an ». Irène traverse « ronds-points, sens interdits, voies piétonnes, ralentisseurs, bouts de rocade, impasses », tous ces obstacles urbains modernes qui illustrent le nouveau monde.
Cette exploration de l’envers de sa vie et ses nuits d’insomnie serviront moins à la relance de l’instruction qu’un nouveau massacre – celui d’une vieille dame et de sa fille handicapée. Mais elles nourrissent le questionnement essentiel : « ai-je vraiment grandi depuis l’enfance ? ». Cette époque lorientaise où la main d’Irène s’accrochait à celle de Denise « comme si c’était une ligne de vie ».
MCB
Pour conclure sur Irène Frain, je vous propose de l’écouter dans l’émission du Carré VIP- vieilles pies où elle faisait l’objet de la « déclaration » de la galeriste Françoise Livinec https://www.youtube.com/watch?v=Avq-ZJSgzA8&t=27s
Retrouvez-la aussi dans cette video où elle évoque les vertus de la résilience
https://www.youtube.com/watch?v=_bBranYap4Q
Enfin, Irène Frain a très aimablement accepté de présider le prix littéraire féminin et breton que le Carré VIP – Vieilles https://www.carrevip-vieillespies.com/ projette (en photo : la première réunion informelle avec Anne Monsoon)
A suivre !
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