Ce billet de Catherine Berranger salue le combat (par l’écriture ou la politique) de trois personnages que nous admirons aussi. L’occasion pour elle de poser des (bonnes) questions et de faire une proposition.
MCB
29 septembre
J’adore le côté quichottesque de François Ruffin qui, avec humour et autodérision, parcourt des centaines de kilomètres, se coltine des dossiers bien plombants, argumente jusqu’à très soif auprès de ses collègues à l’Assemblée nationale.
Debout les femmes, magnifiquement filmé par Gilles Perret, réussit le tour de force de nous donner la pêche alors qu’il n’y est question que d’exploitation, de précarité, d’injustice ! Et il est un formidable encouragement à la lutte collective !
On ne peut s’empêcher de penser à un autre très beau documentaire qui montrait la folle bataille des femmes de chambre dans les hôtels Ibis : On a grèvé, de Denis Gheerbrant (2014).
1er octobre
Quel bonheur, ce lundi, d’avoir assisté à Rennes à l’avant-première de Debout les femmes, de Gilles Perret et François Ruffin !
Ambiance enjouée et chaleureuse dans la salle, avec des témoignages édifiants. Combative aussi, puisque Ruffin nous a vivement encouragés à soutenir concrètement les femmes de ménage qui officient au… TnB !!!! Samsic, l’entreprise qui les emploie, semble les traiter bien mal ! Et là, on se dit : « Mais, mais… comment se fait-ce que la direction (à ce qu’il paraît de gauche, et engagée, et pétrie d’humanisme !) ne veille pas à mettre en application ses bôôô principes éthiques au sein même de son établissement qui n’est pas mal doté en subventions municipale, métropolitaine, départementale, régionale, nationale, européenne ? Pas moyen de trouver un tout petit bout de budget pour éviter l’exploitation de ces cinq ou six personnes indispensables ? »
Je reviens à mon propos : Pendant la projection et les échanges m’est apparue la figure de Don Quichotte. Sans avoir jamais lu d’une traite les mille pages du roman éponyme, j’aime à me plonger de temps à autre dans les aventures de cet énergumène attachant par son désir de vouloir répandre le bien autour de lui tout en payant de sa personne. Il y a de ça chez Ruffin : sortir de l’hémicycle pour aller sur le terrain, et déployer une énergie considérable pour faire bouger les choses – avec en plus, chez lui, une insistance pour que la lutte s’inscrive dans une démarche collective et solidaire.
Cette funeste année 2021 (en espérant que 2022 ne le soit encore plus, le virus de la haine et du racisme nous menaçant bien plus gravement que le Covid !) aura décidément eu pour moi comme fil rouge salvateur le fameux « chevalier à la triste figure ».
Au printemps, en effet, je découvrais avec enthousiasme le roman d’Éric Pessan, qui tresse son désarroi face au monde comme il va avec sa connaissance fine de Cervantès. Son Quichotte, autoportrait chevaleresque (Fayard, 2018) m’a marquée et me poursuit. J’adore son habileté à nous communiquer son besoin viscéral de littérature.
« Ce n’est pas exagéré que de prétendre qu’il y a chez tout écrivain un syndrome Quichotte. On devient auteur à force de lire des livres, on prend le chemin de l’écriture en sachant très bien qu’à chaque pas l’échec nous guette. Devenir écrivain, en faire sa profession, c’est agir en mélancolique qui décide d’affronter le monde. C’est se vouer à confronter la solitude de l’écriture au tumulte de la société. »
Et les quatre cents pages sont du même tonneau. Magnifique, j’vous dis !
Et puis, il y a quelques jours, j’ai retrouvé « ma » très chère Lydie Salvayre, inventive en diable, imprévisible, malicieuse. Dans Rêver debout [«debout », elle aussi !] (Le Seuil, 2021), au long d’une quinzaine de missives à l’attention de Cervantès, elle s’amuse à le tancer pour avoir affublé de quelques défauts son personnage qui, selon elle, ne mérite que respect et admiration. Et elle pousse l’audace jusqu’à lui asséner des sources d’inspiration comme Hugo, Bakounine et autres Deleuze…
« Vous vouliez offrir aux lecteurs un Quichotte piteux, eh bien, Monsieur, c’est raté ! Votre Quichotte est tout simplement touchant. Sa fragilité dans ce monde de brutes ne peut que nous attendrir, tout en nous amenant à réfléchir sur les raisons de la violence qu’il endure.
Vous vouliez jeter le discrédit sur sageste ? C’est encore raté. Car ce qu’on retient d’elle, c’est l’inflexible, la scandaleuse, l’infatigable force d’insurrection qui l’anime. »
Rien ne me réjouirait plus qu’une rencontre entre Lydie Salvayre et Éric Pessan pour qu’ils croisent le fer de leur humour et de leur écriture ! En attendant, leurs deux merveilleux livres ne quittent pas ma table pour pouvoir en déguster des tranches à volonté.
C.B.
En savoir plus :
https://www.mariechristinebiet.com/2021/04/20/eric-pessan-et-nous/
Et écouter Lydie Salvayre dans l’émission de Guillaume Galienne :
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