Au « Contoir » du presbytère? Non, non, chers lecteurs-trices, ne sursautez pas ! La faute est volontaire. C’est bien le titre du livre que vient de publier Ronan Manuel, et qui a réjoui Claire Fourier.
Au Contoir du presbytère. – Voici un livre qui réjouit le cœur de l’homme, comme un bon vin sur le zinc. Un livre tonique et salubre. Il était une fois, mais il n’était pas une fois, pourtant il était une fois. Et ça s’est passé comme ça, ou ça ne s’est pas passé du tout, car en Bretagne ça se passe comme ça, surtout en Basse-Bretagne, du côté de la Cornouaille où les curés naguère avaient leurs ouailles.
Je commence, vous le voyez, par des rimes. C’est pour souligner d’emblée une prose qui tient de la poésie ; elle pourrait être mise en vers tant elle est rythmée et rimée. Avec un talent inouï, l’auteur nous fait entendre autant que lire. Vous me direz que c’est le propre des contes que d’être lus à voix haute. Vous avez raison.
Pas tout à fait. Ici, place à la voix basse du confessionnal. En effet de quoi s’agit-il ? Des vagabondages fautifs de paroissiens et curés, sauf que c’est le curé parfois qui va à confesse, se met à genoux devant la petite grille en bois, nous avoue ses amours ancillaires, et que c’est nous qui écoutons en riant les péchés assurément véniels qui secouent la vie intime de la cure et du village. Au reste comment voulez-vous que le curé n’absolve pas le pénitent qui trompe sa femme puisque lui-même trouve son bonheur dans les bras de sa karabasenn (sa bonne, en breton) ?
Au Contoir du presbytère, c’était avant Metoo. « C’était au temps d’avant, imaginez ce qu’on en dirait au temps de maintenant. » C’était quand les vicaires mélangeaient gentiment chaire et chair. C’était quand, après la messe, pêcheurs, pécheurs, nécessiteux de toute sorte, curés « habitués des pauvres destins » se retrouvaient tous accoudés au bistrot pour « tutoyer la biture » et raconter joyeusement des aventures plus salées que les biscuits et les sermons.
Ronan Manuel a-t-il écouté des gens, mémorisé, compilé, imaginé ? On s’en fout. Il a entendu à la fraîche le murmure du passé dans les ramures de la forêt et raconte, avec une manière qui nous met le sourire aux lèvres, « la magie des lieux qui faisait qu’après ripailles, on oubliait de livrer bataille ». Dans ces trente petits contes, on perçoit la voix d’un passé innocent (quand bien même la faux de l’ankou n’est pas loin) et de macchabées qui ne se sont pas ennuyés au bon vieux temps.
Mais l’auteur. Imaginez-le en casquette irlandaise et gilet de tweed, vivant sinon dans un presbytère de la verte Erin, en ermite du côté de Brocéliande. En ermite, vite dit. Il a une compagne adorée, des copains avec qui lamper du whisky, un jardin potager, une bibliothèque à portée de main et des chemins creux à portée de pied – la vie rêvée, quoi ! Naguère il animait sur France Bleu Armorique une émission « Du monde au balcon ». Il continue de « causer dans le poste » et de nous interpeller de son balcon en forêt, nommé « Bon vieux temps, Radio Rennes » ; il y chronique des livres, fait entendre de la musique rock. Il réalise des documentaires. Il s’égare même sur Facebook.
Cet ermite a quelque chose de Frère des Entommeures, la largesse d’esprit de Rabelais, et me rappelle Jim Harrison : « Peut-être que c’était un avantage d’appartenir à une famille de paysans et de savoir que, même quand on est plongé dans Ou bien… ou bien… de Kierkegaard, on restait avant tout un mammifère. »
Les personnages de Ronan Manuel sont donc des paroissiens, mais d’abord des mammifères. Du côté du « presbytère qui jouxte la maison du notaire », on baisse son pantalon, relève son jupon et la soutane aussi, c’est la vie, n’est-ce pas, y a pas de mal à ça. Oubliez la culpabilité qui pèse sur le curé de campagne de Bernanos. Ici tout n’est que fraîcheur et miséricorde, parfum d’encaustique, sous le regard du bon Dieu attendri par les mignonnes débauches. Ben oui, se dit le Créateur, l’homme est cette bête-là, c’est ma faute, je l’ai fait comme ça ! J’avais qu’à le faire autrement !
Ronan Manuel nous dit des « choses communes par pleine lune ». Il nous parle des bonnes de curés « aussi belles de fesses que de face » et d’une « qui des amants en avait tant que de s’en souvenir n’avait le temps ». Il nous amuse avec des hommes d’église qui « n’astiquent pas que les calices au mitan de la nuit », et un qui était docteur d’université, rempli de « savancetés » qu’il s’empressa d’oublier dès qu’il eut à son service une sacristine vêtue de « fanfreluches et guipures, enfin de tout pour que le diable y soit ». Il y a aussi le drôle d’enterrement du « mort, emballé de bois, [qui] allait son triste chemin vers sa dernière demeure, cela, vous n’en serez pas surpris, pour la toute première fois ». Chut !
Voici un livre qui regorge d’humanité, de fantaisie et d’esprit. On y retrouve l’humour et la tendresse celtiques, l’esprit de Monty Python, le nonsense britannique (que j’aime tant), une langue qui coule de source (on sait combien j’apprécie la cadence et l’écriture fluide et claire).
Entrez donc dans ces contes, « ne restez pas bêtes comme ça ! ». Lisez ces histoires pleines de charme et « qui ne sont que pures vérités », écoutez ces prêches coquins (ça vous changera de ceux à la mode, qui dépriment et engourdissent) et « vous aurez ça d’chaud dans le corps », tel le curé après qu’Honorine lui eut « offert un bon bouillon et sans doute un peu plus ».
(Ronan Manuel Au Contoir du presbytère, Calembredaines et fariboles aux Pays des curés, ill. Ronan Jim-Sevellec, Bonvieuxtemps Éditions, 2021. 118 p., 12 euros. Distribution BonVieuxtemps, 7 La Blanchère 35240 Retiers)
Qui est Claire Fourier ?
Née à Ploudalmézeau, ayant grandi rue de Siam, à Brest, elle a quitté le Finistère mais le Finistère ne l’a pas quittée. « Ce n’est pas qu’il me tienne en laisse, au contraire : il est ma piste d’envol de tous les jours, que dis-je, de toutes les heures. Et il est ma brûlure, et il est mon onguent. Est-il la fin ou le début du monde ? J’aime croire qu’il est un pont jeté entre deux mondes. Voilà le pays qui m’a vue naître et qu’inlassablement au long des étés j’ai sillonné enfant, en vélo, avec mes frères. Voilà le pays que j’aurai devant les yeux quand ils se fermeront à jamais ». Elle y est retournée l’an passé pour présenter son livre Sémaphore en mer d’Iroise.
https://www.locus-solus.fr/product-page/s%C3%A9maphore-en-mer-d-irois. Ce fut « un merveilleux pèlerinage ». Malheureusement, elle n’a pu imposer « le vent, l’eau froide de Portsall et Tréompan » à sa famille et désormais, son nouveau « béguinage » est à Carnac.
Claire avait déjà participé à ce blog lors du 1er confinement avec ce mémorable billet dédié à Didier Raoult https://www.mariechristinebiet.com/2020/03/27/je-vous-ecris-de-chez-moi-6/ )
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