« Cela fait dix ans qu’Irène Frachon l’attend : ce moment où face à la mer, elle pourrait se satisfaire du délibéré des juges dans le procès hors norme dit « du Mediator ». Le docteur Irène Frachon, pneumologue à l’hôpital de Brest, est « celle par qui le scandale est arrivé ». Celle qui a lancé l’alerte de ce médicament nocif devant les autorités pour le faire interdire, l’a relayée dans les médias pour en faire une affaire, puis portée jusque devant les tribunaux. Cela fait dix ans qu’elle l’attend »
Et quelque part Anne Richard aussi. Précision : il ne s’agit pas de l’actrice homonyme (sur qui vous tomberez si vous faites une recherche Google). Cette Anne là est documentariste. Elle a été la première en 2010, à suivre les protagonistes d’un scandale qui allait devenir l’Affaire Mediator. Après Sciences Po et des études en Allemagne, Anne a démarré sa carrière en parcourant l’Europe. Elle a réalisé une cinquantaine de films pour les émissions d’ARTE, Forum des Européens et Zoom Europa, au sein de la Compagnie des Phares et Balises. Quelques années plus tard, elle se lance dans des formats plus longs, en France comme à l’étranger pour la société WA productions. Elle signe en 2002 son premier 52’, Afrique du Sud, le train de l’espoir, pour ARTE et Odyssée. Indépendante depuis 2011, elle a collaboré à Infrarouge : Mères sans toit, le destin de Souhila, et Bénédicte et les autres, produit par TSVP.
Anne a commencé à filmer Irène Frachon l’été 2010 à Brest. Elle était alors seule dans son combat. « J’ai été la première réalisatrice à m’intéresser à elle, tandis que le sous-titre de son livre Mediator 150 mg- Combien de morts ? venait d’être censuré par la justice, à la demande des laboratoires Servier. C’était une femme en colère, mais calme. « Des phrases fortes, mais simples. Une empêcheuse de tourner en rond sans en avoir l’air avec sa croix protestante et son chignon. C’était ma première image d’elle, face au public de la librairie Dialogues venu la soutenir ».
Irène avait fait éclater le scandale. Pendant ses 33 ans de commercialisation, 5 millions de Français avaient consommé du Mediator, presque 2000 en étaient morts, et beaucoup d’autres – dont on ignorait le chiffre – avaient été atteints par de graves lésions cardiaques. On accusait les agences de santé d’avoir été insensibles aux alertes, et les laboratoires Servier d’avoir trompé sur la nature du médicament dans le seul but de faire du chiffre. Anne Richard en a tiré un premier documentaire « L’affaire Mediator » qui racontait son combat avec Charles Joseph-Oudin, un jeune avocat de 28 ans et Gérard Bapt, député et vieux connaisseur des affaires de santé publique.
Anne n’a cessé de la filmer : « Irène est devenue une héroïne aux yeux des médias, la lanceuse d’alerte la plus célèbre de notre pays. Mais l’affaire sur son volet judiciaire ne faisait que commencer : enquêtes préliminaires, mises en examen, instruction, contestation des procédures… Pour voir advenir sa vérité, il fallait attendre. Apprendre le décès du principal accusé Jacques Servier, fondateur des Laboratoires Servier, à l’âge de 90 ans, voir mourir des victimes que j’avais filmées au tout début du scandale, voir l’état de santé des autres se dégrader. Attendre encore. Septembre 2019, le procès pénal s’ouvre enfin. « Un procès hors norme prévu à l’origine pour six mois, aux 25 prévenus, 110 audiences, plus de 6500 victimes parmi les parties civiles, le plus long de l’histoire judiciaire française après le procès Marcel Papon. Pour Irène, c’est aussi celui de la criminalité à « col blanc » qu’elle dénonce sans discontinuer depuis dix ans dans l’industrie pharmaceutique. Montée à la capitale depuis Brest, déterminée comme jamais, la colère intacte, elle prend congé de son hôpital quatre jours par semaine pour assister aux audiences. Le verbe haut devant les caméras à l’ouverture, elle décide ensuite de ne plus parler à la presse pour ne pas interférer avec la justice des prétoires. Elle se concentre sur son rôle de témoin, je suis la seule à documenter ses pas dans les coulisses de ce procès et ses allers retours entre Paris et ses consultations à Brest. La pause mondiale imposée par le COVID accroit encore l’attente. Mais Irène y croit, elle a confiance ». Au tout début de ma rencontre avec Irène Frachon, je me questionnais sans cesse sur la réalité de l’affaire, les faits, rien que les faits. Au fur et à mesure des années, je ne doutais plus qu’il y avait une affaire. Je me mettais dans les pas plus intimes d’Irène, mais je continuais à m’interroger sur la capacité de nos institutions à prendre le relais. Je continuais de filmer l’obsession d’Irène, celle qui ronge, qui absorbe plus de dix ans d’une vie. Cet acharnement qu’il faut savoir entretenir pour renouveler la patience et l’espoir. Secrètement, j’attendais qu’une vérité judiciaire advienne pour voir si l’obsession d’Irène pourrait enfin trouver une fin ». Pour faire ce qui est aussi un magnifique portrait de femme, Anne Richard a eu d’abord la confiance d’un gars de Brest, Anne Richard tient à saluer la Région Bretagne et France 3 : « sans cette conscience vis-à-vis de cet enjeu historique, le projet n’aurait pas abouti ». Ne ratez donc pas la diffusion du documentaire « Celle par qui le scandale est arrivé ». Lundi 26 avril à 22.50 dans La France en Vrai sur France 3 Bretagne Jeudi 29 avril à 22.30 dans La Ligne bleue sur France 3 | ||
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