La Fracture, le nouveau film de Catherine Corsini conjugue diverses fractures : celle d’un couple de femmes, celle de la société et celle des éclopés qui arrivent dans un hôpital.
Raf (Valéria Bruni Tedeschi) et Julie (Marina Foïs), un couple au bord de la rupture, se retrouvent dans un service d’urgences proche de l’asphyxie le soir d’une manifestation parisienne des Gilets Jaunes. Leur colère est incarnée (fort bien) par Yann (Pio Marmaï), un manifestant blessé … et pressé de retourner à son camion malgré l’état de sa jambe. L’hôpital, sous pression, doit fermer ses portes. Le personnel est débordé. On suit leur harassante course contre la montre avec Aissatou, magnifiquement interprétée par Diallo Sagna, dont c’est le premier rôle – elle est aide-soignante dans la vraie vie ! Ce n’est pas la seule non professionnelle engagée sur ce tournage.
Dans ces films précédents, La Belle Saison et Un Amour impossible, films d’époque où elle parlait du féminisme et de l’inceste, Corsini voulait « prendre en compte ce qui se passe dans la société d’aujourd’hui, notamment ses fractures sociales, sans trop savoir par quel bout les prendre et quelle forme choisir ». Sensible à la manière de Nanni Moretti « de se mettre en scène pour discuter de son engagement à l’écran, elle a finalement trouvé la clé d’entrée du film en croisant sa propre vie (la rupture avec sa compagne) avec une expérience aux urgences de l’hôpital Lariboisière en décembre 2018. Toute la nuit, elle eut l’occasion d’observer « le ballet de l’organisation hospitalière, la tension des soignants débordés souvent attentifs mais n’ayant pas toujours le temps d’être aimables, les patients réunis dans la salle d’attente, avec des chocs physiques plus ou moins importants, des angoisses, le besoin de se confier… C’est d’autant plus criant à l’hôpital Lariboisière, qui est proche des gares et brasse une population assez miséreuse, des personnes de passage, des toxicos, des cas psychiatriques, des mineurs isolés… »
La réalisatrice affirme aussi avoir voulu « se servir de sa mauvaise foi, qui est un bon moteur de comédie ». Le choix de Valeria Bruni-Tedeschi semble donc pertinent mais est-ce vraiment elle cette bobo égocentrique et horripilante ? Corsini affirme vouloir se moquer à travers ce couple « d’une génération qui a été engagée, a cru à la révolution, mais qui aujourd’hui trouve que « c’est quand même un peu trop violent » ! Objectif atteint.
Mais revenons sur le fond. Catherine Corsini avoue avoir été très inspirée par CLASSE MOYENNE, DES VIES SUR LE FIL, réalisé bien avant le mouvement des Gilets jaunes. Ce documentaire de Frédéric Brunnquell raconte comment des gens peuvent être aspirés après la perte d’un emploi. Leurs vies étaient à peu près tenables financièrement et tout d’un coup, ils se sont vu basculer ». Elle a aussi écouté des témoignages de Gilets jaunes dans la magnifique émission de Sonia Kronlund, LES PIEDS SUR TERRE (dont on recommande chaleureusement l’écoute https://www.franceculture.fr/emissions/les-pieds-sur-terre ). « On sentait qu’ils n’étaient ni des casseurs, ni des fous hystériques voulant faire la peau de Macron. Ils étaient là par conviction, pour exprimer des revendications solides et légitimes, pas seulement pour réclamer des petites primes ».
Trouver le lieu fut compliqué : l’aile abandonnée d’un hôpital s’avérant finalement impossible, elle a réussi à trouver un parking désaffecté en banlieue. Le décorateur (Toma Baqueni) et toute son équipe ont fait un travail d’orfèvre pour reconstituer la réalité hospitalière. De son côté, elle a enregistré des sons d’hôpitaux qu’elle mettait parfois avant les prises pour que les acteurs se sentent dans l’ambiance car le lieu était très vide. « La véracité de l’hôpital a pris toute sa dimension avec le montage son. Les va-et-vient, les cris, les sirènes… Ce hors-champ sonore a épaissi la présence du lieu ».
Pour une des rares scènes hors hôpital (la manif où Yann-Pio est blessé), « cinq jours avant de tourner on a eu une interdiction de la Préfecture de Paris, alors que tout était validé. On a d’abord pensé que c’était à cause des mesures sanitaires, mais on a vite compris que c’était la peur qu’une manifestation de Gilets jaunes reconstituée pour un film ne crée du désordre ! ». Il faut dire que les vrais gilets jaunes figurants sont très crédibles !
L’époque n’était pas simple. La crise sanitaire et le deuxième confinement ont donné une énergie particulière car ils avaient « tous peur que le tournage soit interrompu à cause du Covid ou de nouvelles consignes gouvernementales, donc chaque journée était comme arrachée ». Catherine Corsini a modifié ses habitudes : elle a très peu répété avec les acteurs et c’est la première fois qu’elle a filmé caméra à l’épaule, donnant l’impression de tourner sur un ring.
Saluons aussi le travail du monteur Frédéric Baillehaiche conforme à la tension et l’énergie de ce film riche en émotions.
On spoile un peu ? La fin est porteuse d’espoir. « C’est peut-être un peu utopique et naïf mais j’avais envie de faire un film qui ressemble à ce que je ressens de notre société, à ce que j’aimerais qu’elle devienne : une société dans l’ouverture plutôt que dans le rejet ou la position de force. J’avais envie de donner une visibilité à l’idée d’un avenir à la fois plus humain, démocratique et respectueux ».
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