Le 1er jour de juillet, je m’en allai répondre à l’invitation d’un charmant couple rencontré lors d’un événement culturel sur la côte. Il s’agissait de l’ouverture d’une nouvelle galerie près de Cancale. Ne connaissant pas les deux artistes invités, ma curiosité était doublement piquée. À l’arrivée, je reconnais le cellier dans lequel Olivier Roellinger avait installé sa première boutique d’épices. J’entre et admire la qualité du lieu : sol en terre battue impeccable, murs en pierres légèrement chaulées, haute charpente apparente… je me dis : « on sent une parenté avec la Ferme du vent, parfait si ce vent-là souffle jusque-là ». Puis une jeune femme souriante m’offre une coupette, suivie d’un jeune homme qui propose des bouchées de maquereau mariné, ornées de pétales de pois de senteur. Là, je me dis : « on est plus que dans le vent, c’est l‘esprit Roellinger qui habite ce lieu ». A ce moment-là, je reconnais Emmanuel Tessier, chef de l’école Cuisine corsaire – j’avais eu l’occasion de l’interviewer et de faire une cueillette d’herbes sauvages avec lui pour Bretagne Magazine. https://www.facebook.com/cuisinecorsairecancale/
C’est ainsi que je découvris que la galerie d’Antoine Dupin était bel et bien dans l’univers Roellinger. Entretien avec le « jeune » galeriste – mais pas néophyte !
MCB : qui êtes-vous, Antoine Dupin ?
A.D. je suis spécialiste du droit de l’art au sein d’un important cabinet d’avocats parisien et j’ai œuvré plusieurs années au sein de plusieurs galeries parisiennes et internationales. J’ai donc décidé d’ouvrir ma première galerie d’art contemporain à Saint Méloir-des-Ondes, près de Cancale, dans cet ancien corps de ferme, qui abrita autrefois la première boutique Épices Roellinger. Murs de pierres traditionnels, terre battue et charpente apparente offrent un cadre apte à mettre l’art en valeur. Il m’a « juste » fallu créer une cage d’escalier pour relier les deux niveaux.
MCB : Quel est votre projet ici ?
A.D. : je souhaite m’inscrire durablement dans le territoire et ambitionne de devenir un acteur de référence de l’art contemporain en Bretagne, grâce à une sélection exigeante d’artistes et d’œuvres qui mêlera des artistes déjà confirmés à des artistes émergents.
MCB : D’où cette « Onde de choc ».
A.D. : C’est surtout la première exposition commune de deux artistes majeurs : Lionel Sabatté et Emmanuel Régent. Ils se sont rencontrés sur les bancs de l’école des Beaux-Arts de Paris. Bien que leurs univers artistiques respectifs semblent au premier abord, fondamentalement différents, leur démarche est sous-tendue par une même volonté de placer le temps et le rapport que nous entretenons avec lui au cœur de leur travail.
MCB : Présentez-nous Emmanuel Régent
A.D. Son oeuvre est un éloge de la lenteur. Ses grands dessins à l’encre de chine nécessitent des heures et des heures de travail. Chacun est un chef-d’œuvre de minutie. Chacun évoque ce qu’il se passe juste avant ou juste après une catastrophe. Ils représentent des naufrages, des ruines, des files d’attentes ou des catastrophes aériennes. Tant d’évènements qui, tout en soulignant la fragilité des choses, laissent des traces physiques, visibles ou invisibles, qui mettent des années à disparaître et des traces mentales qui ne disparaissent jamais complètement de la psychologie collective. Emmanuel expose aussi des œuvres de la série « Mes Naufrages », morceaux d’épaves qu’il a lui même collecté dans l’eau. Ces sculptures sont les ultimes traces de navires qui disparaissent lentement, éparpillés par l’effet combiné de l’eau, du vent et des courants. Enfin, l’exposition comporte une sélection de fragments d’aquarelles de la série « Le dernier soleil ». S’inscrivant dans la longue tradition d’artistes représentant des couchers de soleil, Emmanuel Régent réalise chaque jour une vue du soleil se couchant sur la Méditerranée, face à son atelier de Villefranche-sur-Mer. Il le déchire le jour suivant comme pour mieux souligner l’impossibilité à parfaitement restituer la beauté de la nature.
MCB : Parlez-nous maintenant de Lionel Sabbaté
A. D. : Il place la représentation du vivant, notamment les animaux, au cœur de son univers. Ainsi Lionel collecte depuis des années des matériaux portant en eux la trace d’un vécu : poussière, peaux mortes, ongles, cendres, charbon…, qu’il transforme en œuvres étranges, délicates et poétiques qui nous confrontent au temps qui passe. Aussi et surtout, Lionel crée des dessins d’animaux réalisés à partir de solutions métalliques, et ensuite oxydés grâce à des procédés chimiques. Cette technique unique confère aux animaux l’aspect d’une matière vieillie par le temps et les éléments et révèle des couleurs métalliques, mélange de mordorés et de vert de gris éclatants. L’oeuvre de Lionel Sabatté forme un bestiaire presque onirique, qui renvoie l’homme à sa place dans son environnement. Pour Ondes de choc, Lionel a choisi de présenter une série inédite d’Abeilles oxydées, qui montre avec délicatesse l’élégance et la fragilité de ces insectes, devenus au fil du temps le baromètre des conséquences de l’action de l’homme sur la nature.
MCB : Pourquoi ce titre Onde de choc ?
A.D. : parce que dans un écho troublant à l’actualité, cette expo soulève de nombreuses interrogations sur l’impact de l’homme sur son environnement, tant naturel qu’artificiel et pousse à une profonde réflexion sur le temps qui passe.
Du 2 juillet au 4 aout 2022
Au Buot, Saint-Méloir-des-Ondes. contact@galeriedupin.com ou 06 79 63 12 50
En savoir plus :
Lionel Sabbaté. Né à Toulouse en 1975. Vit et travaille à Paris et Los Angeles. Diplômé de l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts de Paris en 2003, Lionel Sabatté a reçu plusieurs prix artistiques (prix de Peinture de la Fondation Del Luca en 2019, prix des Amis de la Maison Rouge, prix Drawing Now en 2017, prix Yishu 8 de Pékin en 2011). Son travail a fait l’objet de nombreuses expositions monographiques en France et à l’étranger, notamment au Musée de la Chasse et de la Nature à Paris en 2017, au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Saint-Etienne en 2021 et à la Bibliothèque Nationale de France en 2022. Il fait partie de plusieurs collections institutionnelles.
Emmanuel Régent. Vit et travaille à Villefranche-sur-Mer et à Paris. Diplômé de l’École supérieure des beaux-arts de Paris en 2001, il est lauréat 2009 du Prix Découverte des Amis du Palais de Tokyo où sera présentée son exposition individuelle l’année suivante. En 2014, Emmanuel Régent est résident à bord de la goëlette Tara / Agnès b, pour un itinéraire qui le mènera des Cyclades au Liban. En 2015, il est lauréat de la commande publique pour le Mémorial du camp de Rivesaltes (arch. : Rudy Ricciotti). En 2018, il est lauréat de la résidence pour la Fondation Hermès à la cristallerie Saint-Louis jusqu’en 2019. Ses œuvres sont présentes dans des collections privées et institutionnelles en France et à l’étranger: Musée Voorlinden (Pays-Bas), Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain (Nice), FMAC de la Ville de Paris, Museo Ettore Fico (Turin, Italie), FRAC Provence-Alpes-Côte-d’Azur (Marseille), Fondation Raja, Ville de Vitry-sur- Seine (MAC/VAL), Fondazione Rivoli2 (Milan, Italie), Fondation d’entreprise Hermès (Paris).
https://fondationtaraocean.org/artistes/emmanuel-regent/
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