Cette semaine, Catherine Berranger nous fait part de son admiration pour Serge Livrozet et d’autres qui oeuvrent pour une société plus juste à travers le cinéma et le documentaire.

« Demandons à nos magistrats de sanctionner mieux, d’emprisonner moins. Décarcérons ! »

Sylvain Lhuissier

 J’apprends aujourd’hui, 3 décembre 2022, la mort de Serge Livrozet. Si je devais faire une liste des dix noms marquants de ma jeunesse, il en ferait assurément partie. Même si je ne me souviens plus précisément du contenu de Hurle ! (Les Presses d’aujourd’hui, 1976), son livre est, depuis ce temps, dans la catégorie « Trésors » de ma bibliothèque. Ensuite, la vie de son auteur s’emplit d’écrits, de quelques rôles au cinéma, de combats. On le retrouve, affaibli mais toujours percutant, dans le documentaire du très impressionnant Nicolas Drolc, Sur les toits (2014).

https://www.youtube.com/watch?v=rsHXdpCKBEM

La disparition de Serge Livrozet coïncide avec mon envie de partager mon intérêt admiratif pour une autre voix bien déterminée, elle aussi, à faire découvrir au plus grand nombre (on peut toujours espérer !) ce qui se cache derrière les murs de la prison. Depuis que j’ai vu, en 2011, Le Déménagement (sur le transfert de la maison d’arrêt Jacques-Cartier à Vezin-le-Coquet), le nom de sa réalisatrice Catherine Rechard m’est resté en mémoire. Il y a quelques jours, il n’était pas question de manquer la projection (unique, malheureusement) d’Extramuros. Une peine sans murs (2021) en sa présence – ô combien enrichissante. Merci au cinéma L’Arvor de Rennes. Et, merci, bien sûr, à Catherine Rechard.

Quel médium exceptionnel que les documentaires – surtout quand ils sont d’une telle qualité – pour élargir sa vision du monde ! Quel talent il faut pour insuffler du rythme à cette succession d’entretiens, entrecoupés par des prises de vues printanières ou par les trajets à vélo de Marie, le fil conducteur de ce film !

Marie, toute pétillante, s’acquitte de sa lourde tâche avec cœur et ténacité : éducatrice au sein d’une asso de réinsertion, elle accompagne les heureux élus pouvant bénéficier d’un « placement à l’extérieur ».

Cette mesure est accordée par un juge d’application des peines à un nombre très restreint de détenus, s’ils réunissent plusieurs conditions : peine inférieure à deux ans, bonne conduite, aptitudes à l’autonomie… Un petit logement individuel leur est alors attribué, et ils doivent s’astreindre à un programme de recherche d’emploi, de suivi médical et/ou psy, et de diverses activités.

On entend, une fois de plus, à quel point la prison est avant tout la maison des mal-nés et des malmenés. Les mauvais traitements dans l’enfance et le manque d’encadrement sont le terreau des comportements délictueux.

 Pourquoi les gouvernants s’acharnent, dans ce domaine comme dans bien d’autres, à toujours prendre les problématiques à l’envers ? Est-ce si difficile d’acter – dans un programme enfin sérieux contre la délinquance – que la prévention, les structures éducatives et psychologiques, l’éveil aux pratiques culturelles, l’empathie et tout ce qui peut pallier au mieux les déficiences parentales empêcheraient que l’immense majorité des enfants évoluant dans des milieux carencés deviennent des jeunes adultes ingérables ?

Selon les statistiques du ministère de la Justice, la France comptait au 1er novembre dernier, 72 809 détenus (record historique) avec une surpopulation de 120 %. Mais Sylvain Lhuissier, dans son indispensable opus Décarcérer (Rue de l’échiquier, 2020, 10 € seulement pour 90 pages éclairantes), souligne que « les criminels représentent 1,5 % des personnes condamnées à une peine d’emprisonnement ferme », tandis que « 68 % des personnes détenues sont enfermées en maison d’arrêt, soit en attente de jugement, soit pour y purger de courtes peines ».

 Dans la foulée, je suis allée voir Mauvaises Filles (2022), autre documentaire dans lequel la réalisatrice Émérance Dubas rencontre des femmes maintenant âgées qui se sont retrouvées cloîtrées, sans rien comprendre à ce qui leur arrivait, dans les instituts du Bon-Pasteur. Elles y ont passé d’interminables années pour diverses raisons, dont aucune ne pouvait justifier le sort cauchemardesque qui leur a été infligé par des « bonnes » sœurs d’une dureté abominable. Leurs récits sont bouleversants…

Là encore, ce film d’une grande beauté (malgré tout !) interroge sur la propension sadique des humains à concevoir, au travers des siècles et de la planète, un catalogue de systèmes coercitifs dégradants.

Sans tomber dans l’angélisme, je crois qu’il en va de notre dignité collective à lutter pour la disparition de tous ces lieux d’enfermement qui coûtent des sommes exorbitantes aux contribuables que nous sommes et qui n’ont jamais rien apporté d’efficace dans la lutte contre la délinquance et la criminalité, bien au contraire ! Pour ma part, je soutiens modestement l’Observatoire international des prisons, qui fait un formidable travail d’information accessible au public le plus large et de soutien aux prisonniers et à leurs familles.

CB

Pour en savoir plus

https://www.la-croix.com/France/Sylvain-Lhuissier-eviter-case-prison-2020-09-29-1201116629

https://www.ateliersvaran.com/fr/reseau/annuaire/catherine-rechard_1299

https://www.dailymotion.com/video/x8f66vm

https://oip.org/


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