La Gacillia latina !
Depuis sa création, je crois que je n’ai pas raté une seule édition du Festival photo de La Gacilly. Chaque année a apporté son lot de surprises, d’émerveillement, de fraternité. Quand j’ai appris qu’en 2020, l’édition était consacrée à l’Amérique Latine, je ne pouvais que m’en réjouir, moi qui en ai fait deux fois le tour. Enfin, un tour de l’Amérique hispanophone et un tour de l’Amérique lusophone. L’occasion de découvrir l’exceptionnel patrimoine pré-colombien, l’envoutante architecture coloniale et une fantastique architecture contemporaine – d’Oscar Niemeyer à Alejandro Aravena. La possibilité de partager le quotidien des indiens d’Ottavalo en Equateur ou ceux de San Andres de Pisimbala en Colombie. Le grand bonheur d’avoir eu pour guides le Dr Antonio Carrio à Quito, Milton Garcia à Belem, Ana-Maria Bahiana et le Dr Neu à Rio, Ricardo à Porte Alegre, Anna à Florianopolis, Cafe à Ouro Preto, Napoleon Polo à Cuzco, Carmen Rosa et ses amis à Lima, Mercedes à Arequipa et dans la vallée de Colca, et Bruno de Roissart qui m’a fait nager avec les piranhas dans le Chapare (l’Amazonie bolivienne) ! La joie d’avoir revu Pablo Ortuzar à Valparaiso, Fernando et Claudia à Rio de Janeiro. Le plaisir de croiser Denis Gozlan sur le lac Titicaca et des tas de gens dont j’ai oublié le nom mais qui restent vivants dans ma mémoire – comme cet adorable couple d’architectes à Curitiba. Je tairai (pour cette fois) mes deux histoires d’amour merveilleuses et aussi les petits drames. Bref, vous comprenez que je me réjouissais de remettre les pieds en Amérique Latine sans quitter la Bretagne.
Comme les Gaciliens et tous les gens impliqués, je tremblais à l’idée que le festival soit annulé mais non, Jacques Rocher, le maire, l’assure : « les équipes du Festival Photo se sont pleinement mobilisées pour étudier la faisabilité technique, financière et sanitaire de cette 17e édition. Donc il aura bien lieu avec une mise en scène simplifiée et adaptée aux mesures barrières de sortie de confinement. Les visiteurs seront priés de respecter un sens de déambulation dans le village ». Ce sera moins fun mais formidable !
Auguste Coudray, le président de la manifestation l’assure : « Comme chaque année, des milliers de visiteurs se rendront à La Gacilly pour découvrir les galeries sauvées à ciel ouvert et plus de 600 photos grand format », soulignant que ce Festival fait écho aux préoccupations de chacun : « En prise avec son époque, il ouvre à la nuance, à la variation, à la discussion. Il se risque à offrir non pas des systèmes de pensées mais des regards, des ressentis, des interrogations, des émotions ».
Stéphanie Retière-Secret, la directrice du festival rappelle quant à elle que « ce festival est cette espèce qui vit pour et par la photographie mais dont l’objet a toujours été de favoriser et de promouvoir la connaissance de la nature et de nos sociétés. Notre volonté est d’en faire un Festival à mission »
Mission dont s’acquitte (fort bien) Cyril Drouhet, commissaire des expositions du Festival Photo La Gacilly que je laisse présenter le programme :
« Notre édition 2020 souhaitait faire la part belle au retour de la biodiversité. A la mi-juin devait se tenir à Marseille le congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), et, en octobre prochain à Kunming, en Chine, la COP 15 sur la diversité biologique. La pandémie qui continue de sévir a bouleversé le calendrier et ces deux événements majeurs pour la sauvegarde de nos écosystèmes ont été repoussés à 2021. Nous nous sommes donc adaptés à cette situation nouvelle pour reporter certaines expositions qui nous semblaient, malheureusement, en décalage avec cet état de fait.
Reste qu’en 2004, quand il s’éveilla sur ses terres de La Gacilly, notre Festival se voulait d’abord le réceptacle de la beauté du monde et des dangers qui le guettaient. Les années se sont écoulées, des nuages toujours plus menaçants se sont accumulés et les photographes que nous avons accueillis sont devenus désormais de véritables lanceurs d’alerte, témoins empathiques ou révoltés d’un monde qui ne tourne plus rond. Aujourd’hui, notre engagement citoyen et artistique est total, et nous conforte dans cette mission que nous nous sommes donnés, celle de reconnecter l’individu avec le monde du vivant. Un doux rêve? Il n’en est rien. « L’essentiel est invisible pour les yeux », disait le Petit Prince de Saint-Exupéry. Mais il se tient dans le regard. Dans le regard de tous ces artistes qui nous racontent à leur manière cette société emportée dans le tourbillon de la modernité.
UNE AMÉRIQUE LATINE PHOTOGRAPHIQUEMENT ENGAGÉE
Ce n’est pas sans raison que nous avons souhaité braquer nos projecteurs sur la photographie d’Amérique latine. D’abord, parce que les méga-feux qui ont embrasé récemment les forêts amazoniennes, « le poumon de la planète », nous ont émus. Provoqués par l’action humaine, amplifiés par le dérèglement climatique, ils nous rappellent que si nous savons détruire la nature, nous ne la maîtrisons pas pour autant. Dans le même temps, tout un continent sombrait dans le chaos, comme si une malédiction s’était propagée depuis les plaines de Patagonie jusqu’aux plus hauts sommets des Andes : en Bolivie, au Venezuela, au Chili ou en Argentine, l’heure du dégagisme politique a sonné, point d’orgue d’une grave crise économique et sociale.
Comme souvent, les artistes demeurent les porte-paroles des soubresauts du monde. Difficile certes de définir en quelques expositions toutes les subtilités d’un continent aussi vaste que l’Amérique latine. Pour cette 17e édition, joyeusement intitulée « Viva Latina ! », nous mettons en lumière une photographie fortement imprégnée par la complexité de son histoire, traversée de révolutions et d’espoirs, par l’enchevêtrement de ses coutumes, entre rêve occidental et croyances chamaniques, par la fougue de sa société, empreinte de violence et d’une formidable envie de vivre. Tous ces photographes que nous avons choisis, qu’ils viennent du Brésil, d’Équateur, du Chili, du Mexique, ou d’Argentine, s’enracinent dans le quotidien, montrent la diversité d’un peuple, explorent le chaos urbain, dénoncent une nature mise à mal, sans être pour autant dénués de poésie, d’inventivité ou d’humour. Ils sont avant tout l’expression d’un art photographique regorgeant d’énergie et de créativité.
Créatif et résolument moderne, le plus bel hommage que l’on pourrait adresser à Emmanuel Honorato Vázquez. Les clichés de cet artiste équatorien, mort prématurément et issu d’un milieu aisé, ont été réalisés alors que la photographie en était encore à ses balbutiements. Dans les années 1920, il a immortalisé une société marquée par les inégalités, où les indiens d’Amazonie côtoyaient des paysans miséreux et une bourgeoisie aisée. Des photos d’une qualité exceptionnelle, longtemps oubliées, et exposées pour la première fois en Europe. Dans l’histoire de la photographie sud-américaine, impossible d’occulter celui qui a donné à cet art ses plus beaux titres de noblesse : avec des œuvres comme Genesis, Exodes ou La Main de l’Homme, Sebastião Salgado a construit, année après année, un incroyable témoignage de notre société en mouvement, d’un monde à la dérive qui a détruit ce lien avec la nature. En 1986, il avait passé 35 jours dans la mine d’or de Serra Pelada au Brésil, à photographier ces milliers d’hommes fouillant la terre dans des conditions épouvantables. Plus de 30 ans plus tard, il a revisité ce travail et nous livre pour l’Histoire des images hypnotiques.
Raconter aussi l’hypertrophie de nos sociétés. Avec une esthétique proche de celle du pop art, les photographies de Marcos López, prises dans les villes et la province argentines, mettent en garde contre le processus de dégradation des cultures locales causé par la mondialisation. Le regard est caustique, humoristique, provocateur. Tout comme celui, à sa façon, du plasticien brésilien Cássio Vasconcellos: on est pris de vertige en contemplant les images de sa série Collectives, où l’Homme s’est perdu dans une civilisation de la voiture et des transports. Une vision apocalyptique qu’il oppose volontairement, dans un style diamétralement opposé, à celle idéalisée des forêts d’Amazonie, comme des images d’une autre époque aujourd’hui révolue. Quant au jeune espoir de la photographie brésilienne, Luisa Dörr, elle a réussi le tour de force, par la dignité de ses portraits, de réaliser un audacieux panorama de la condition de la femme en Amérique latine, où l’émancipation se heurte au poids des traditions.
La conscience environnementale reste au cœur de nos préoccupations. L’Amérique latine est forte de ses coutumes dans un espace géographique marqué par cette Cordillère des Andes qui s’envole vers le ciel depuis la Patagonie jusqu’aux Caraïbes: le photographe Pablo Corral Vega a merveilleusement décrit cet espace naturel qui relie les pays et les cultures. Des images d’une grande poésie, accompagnées par des textes oniriques du Prix Nobel de littérature, Mario Vargas Llosa. Tout au sud du continent, proche de la mythique Terre de Feu, Tomás Munita a suivi le quotidien des gauchos, les cow-boys du Chili, dans une aventure digne d’un roman, captant toute la sauvagerie d’une nature indomptée.
Carolina Arantes, quant à elle, s’est rendue, l’été 2019, dans la région d’Altamira, l’épicentre de ces feux qui ont ravagé la forêt amazonienne. Force est de constater, au vu de ce témoignage, que les défenseurs de l’environnement sont en train de perdre leur combat face aux partisans de la déforestation qu’encourage le président brésilien, Jair Bolsonaro. Nous avons toujours défendu à La Gacilly le travail des photojournalistes qui montrent une réalité souvent crue, mais pleine d’humanisme. C’est pourquoi nous sommes fiers d’engager cette année avec l’Agence France Presse un premier partenariat en donnant la parole en images à trois de leurs photographes en Amérique latine : au Brésil précisément, Carl de Souza a suivi ces indiens d’Amazonie qui refusent de perdre leurs terres et leur âme, en engageant une lutte sans merci contre le pouvoir central; Pedro Pardo, lui, a posé son objectif sur la violence inhérente à cette société mexicaine gangrenée par les cartels de la drogue, traversée par des cohortes de migrants, et où les villageois ont choisi de prendre les armes pour protéger leurs cultures. Martin Bernetti, enfin, s’emploie à montrer que l’on peut refuser la fatalité et la spirale du déclin: le Chili, longtemps défiguré par son industrie minière et la pollution, s’est engagé à devenir le nouvel Eldorado des énergies vertes. Place à la renaissance !
PRÉSERVER LE VIVANT
Observer, contempler, respecter cette nature qui nous donne la vie. C’est la mission de ce Festival. Nous partagerons cet engagement cette année avec des photographes qui ont le souci de cette écologie du sensible.
Pour le français Greg Lecoeur, s’il existe encore un monde à sauver, c’est bien celui des espèces sous-marines : depuis une dizaine d’années, il s’est imposé dans cette spécialité en photographiant la ronde silencieuse des baleines australes, des léopards des mers, ou des créatures peuplant ce monde inexploré des abysses.
Dans la course à la surexploitation des sols, nous présenterons pour la première fois le travail de la photographe américaine Nadia Shira Cohen, lauréate 2019 du Prix Photo Fondation Yves Rocher en partenariat avec Visa pour l’Image : au Mexique, elle s’est penchée sur deux communautés du Yucatán que tout oppose. Quand les apiculteurs mayas prônent le respect des traditions, les familles mennonites utilisent les OGM pour accroître leurs productions agricoles, modifiant à jamais les paysages ruraux.
Refuser la destruction du vivant, recréer un tissu végétal, agir pour la vie, notre Festival s’y emploie aussi en soutenant les photographes qui partagent nos combats. Emmanuel Berthier a sillonné plusieurs mois durant le Morbihan, avec le soutien du Conseil départemental, pour observer une nature sanctuarisée dans les cinq réserves naturelles du département. Enfin, nous poursuivons, pour la 5e année consécutive avec le magazine Fisheye, notre volonté de mettre en lumière les nouveaux talents de demain – David Bart, Coline Jourdan et Sébastien Leban – et en reconduisant notre Festival Photo des collégiens du Morbihan, placé cette année sous le signe de la diversité.
Avec le confinement imposé par la pandémie de Covid-19, la nature en a ironiquement tiré profit. L’activité économique se retrouvant au ralenti, les émissions de polluants issues du trafic routier et des industries ont chuté de façon vertigineuse. Notre planète a sombré dans le monde du silence. Nous sortirons ébranlés de cette crise. Il nous faudra réapprendre à vivre mais à vivre différemment. De quoi sera fait le jour d’après ? Il serait inopportun, irréaliste, inconvenant de reprendre comme avant le cours de nos existences. Plus que jamais, nous serons amenés à nous questionner sur quelle planète et quelle vie nous voulons laisser à nos enfants »
Vous pouvez avoir un aperçu de quelques photos extraordinaires sur ce lien (en ne tenant pas compte, bien sûr, de la date annoncée)
ou sur celui-ci :
3 commentaires
Ropert · 11 juin 2020 à 19 h 33 min
Merci Marie-Christine pour cette très bonne nouvelle!
Depuis 3 mois, ce ne sont que des annulations. Et je suis atterrée par ce qui se passe dans le domaine de la culture. Tout ce qui avait été préparé pour l’année est annulé; pas de reprise avant le courant de l’automne. Savoir que la Gacilly va ouvrir cet été est une énorme bouffée d’air pour moi qui étouffe avec cette loi d’urgence sanitaire.
Grand merci à toi et aux organisateurs qui ont défendu leur programme.
Anne-Marie
MCB · 25 août 2020 à 10 h 40 min
Merci Anne-Marie! Au plaisir de te revoir!
Dix raisons de ne pas aller à la plage – Marie-Christine BIET · 17 juillet 2020 à 17 h 09 min
[…] Les incontournables de l’été, c‘est toujours l’Art dans les Chapelles, le parc du château de Kerguéhennec, l’expo de La Gacilly https://www.mariechristinebiet.com/2020/06/08/la-gacillia-latina/ […]