Le Garum, ouatizite ?
Selon Maguelonne Toussaint-Samat, le garum serait un des facteurs expliquant la conquête de la Gaule par les Romains. Rien moins que ça !
Son commerce florissant avait provoqué l’établissement de nombreux comptoirs commerciaux sur les côtes méditerranéennes, y compris à Massalia dont les habitants étaient en bizbille avec les méchants Celto-Ligures. Ils ont alors fait appel à l’armée romaine pour mettre un terme à leurs exactions au IIe s. avant J.C. D’où l’idée d’envahir la Gaule. Toute ? Non – vous le savez, mais ça c’est une autre histoire.
Au temps des Romains, la production agricole fluctuait énormément, en particulier dans le cas des céréales qui constituaient la base de l’alimentation.
La gestion de crises alimentaires (pluies, insectes…) avait conduit à la diversification des céréales cultivées : choix d’espèces plus résistantes comme le seigle, et alternance des cultures. Rome alla même jusqu’à lever un impôt pour assurer le ravitaillement en blé. Voilà pour le pain ou la galette. Mais qu’est-ce qu’on met dedans ? De la bonne charcute produite par les Gaulois, tiens ! Dans la foulée, on va remplir les cales des liburnes avec une sorte de cidre fait avec les pommes sauvages. Et … what else ? Et bien du garum, pardi ! Fabriqué par nos ancêtres des côtes de la péninsule armoricaine, à partir du sel de l’océan.
J’ai découvert cette sorte de Nuoc-mam celtique un jour de balade sur les rochers de Saint-Servan avec une archéologue. Là où je ne voyais que de gros trous dans le roc, elle m’expliqua qu’ils étaient destinés à la production de garum. En fait, j’avais vaguement lu quelque chose dans le livre de Louis Le Cunff, Cuisine et gastronomie de Bretagne. Je m’y suis donc replongée. En voici cet extrait :
« Là où est le sel, il y a la vie. L’homme en a besoin pour survivre, de 4 à 5 grammes par jour. (….). Heureux donc les peuples qui possédaient le sel. Les habitants de l’Armorique furent à cet égard des privilégiés. (…)
Leurs réserves étaient inépuisables, puisque c’était la mer qui le leur apportait (…). Tout au long du littoral de Bretagne, on a retrouvé les vestiges des installations grâce auxquelles nos ancêtres extrayaient le sel de l’océan.
Difficile de savoir si les Armoricains connaissaient le garum avant la conquête romaine. Ce qui est sûr, c’est que le condiment à base de poissons fut fabriqué intensément dans la péninsule par les gallo-romains, à proximité des salines du littoral, notamment dans le secteur de Douarnenez
On regrettera que l’usage du garum se soit perdu après l’arrivée des Bretons. Car on trouverait aujourd’hui sur les tables bretonnes, une sorte de nuoc-mam celtique (…) Qui sait au demeurant si, quelque jour, cette préparation ne sera pas remise à l’honneur sur les lieux mêmes où elle était autrefois réalisée ? » prophétise Louis Le Cunff dans son livre sorti en 1977 (éd. Ouest-France).
Si vous voulez vous le procurer, je l’ai repéré sur le site Rakuten à …. 0,90 € ! https://fr.shopping.rakuten.com/s/louis+le+cunff
L’auteur y livrait la recette.
« Dans une solution concentrée de sel marin, on faisait subir un commencement de putréfaction aux parties vives – intestins, têtes, ouïes – de certains poissons comme l’anchois, la sardine, le maquereau, le picarel. On recueillait le liquide et on y ajoutait du thym, du laurier, et divers autres aromates.
Le picarel étant un poisson méditerranéen, on peut supposer que le jus de picarel était apporté en Armorique dans des amphores – à moins que n’aient été utilisés de quelque poisson semblable de l’Atlantique.
Quoiqu’il en soit, ne tentez pas de fabriquer vous -même du garum. Vous vous exposeriez vraisemblablement à de graves désagréments, surtout si vous avez l’odorat sensible ».
Un autre livre, tout juste sorti aux éditions de l’Épure, vous coutera un peu plus cher (24€) mais au-delà de vous donner 150 recettes, il vous fera voyager bien-au-delà de la Méditerranée ! Et d’abord, il répond à une question importante : Qu’y a-t-il de commun entre la colatura, l’ishiri, le nam pla, le pissalat, le nuoc-mâm, etc. ?
Le sel et la mer ! Depuis quelques années, avec la vogue de la fermentation, ces salaisons de produits marins intéressent de plus en plus les cuisiniers.
Au commencement étaient les deux sauces-mères élaborées à partir de poissons de mer, le garum du monde antique de la mer Méditerranée, et le nuoc-mâm des Chams, en mer de Chine. À partir de ces deux berceaux, ces condiments, pâtes ou jus, ont essaimé un peu partout dans le monde. Aujourd’hui, tant la vogue des cuisines asiatiques et la disponibilité des ingrédients qui les composent, que le retour du garum dans les cuisines des restaurants, ouvrent au cuisinier amateur un champ d’exploration pour ajouter à leurs ses plats un supplément d’umami (https://fr.wikipedia.org/wiki/Umami#:~:text=L’umami%20(%E3%81%86%E3%81%BE%E5%91%B3)%2C,l’amer%20et%20le%20sal%C3%A9.
De nombreuses recettes viennent illustrer ce propos.
Ce livre, qui fait le tour du monde en récits et en recettes, est coordonné par Patrick Cadour, passionnant spécialiste des produits de la mer et des cultures culinaires, en collaboration avec plein d’auteurs :
Pour le Vietnam : Minh-Tâm Trân, professeur de cuisine
Pour la Corée : Luna Kyung
Pour la Thaïlande : Claire Pichon
Pour la Chine : Margot Zhang, professeur de cuisine
Pour le Japon : Chihiro Masui
Pour l’Italie : Alessandra Pierini, chroniqueuse radio
Pour le sud de la France : Mayalen Zubillaga, journaliste.
En Bretagne – plus précisément à Hennebont – Patrick Cadour a rencontré Didier Corlou, l’autre chef pointu en épices, « le chantre du nuoc mam » qui a officié aux fourneaux du Sofitel Métropole de Hanoï https://www.epices-corlou.com/ et est propriétaire de plusieurs restaurants.
Patrick Cadour a déjà publié aux éditions de l’Épure de « Récits et recettes du ressac » et « De rades en comptoirs » et plusieurs titres de la collection « dix façons de préparer »… D’autres (bonnes) idées pour relever vos recettes de fin d’année !
P.S : au hasard de mes recherches et de mes rencontres, j’ai découvert qu’il existe depuis peu un garum de la Loire ! C’est un pêcheur professionnel, Thierry Bouvet, qui a lancé cette merveille au sein de la Coopérative du Garum ligérien (Espace Biolinet 60 bis Quai Albert Baillet 37 Montlouis-sur-Loire), http://garumdetours.fr
1 commentaire
Servane · 14 novembre 2024 à 19 h 29 min
Félicitations MCB!! Quelle culture !