Kergrist et le tango avec l’Ankou
Ce jour de Toussaint 2019 aura été l’occasion de recevoir un mail stupéfiant – oui, qui m’a plongé dans la stupeur. Titré « épilogue », c’est la lettre de sortie de vie de Jean Kergrist, un homme exceptionnel. Auteur et acteur de théâtre (fondateur du TNP, le Théâtre National Portatif), auteur d’une trentaine de livres (dont un à paraître après sa mort), très engagé dans l’histoire et dans l’environnement de son coin de Bretagne, il est doté d’une culture profonde et d’un humour sans limite. En témoigne cette lettre que je me permets de publier dans mon blog.
So long, John !
(Mail
adressé à environ 800 personnes… Honte à moi : Je n’ai pas eu
besoin de Facebook pour m’aider à choisir mes zamis et n’entends battre aucun
record)
Chers amis bonjour.
En cette belle fête de Pâques où les fourmis roucoulent, je vous donne quelques
nouvelles.
J’ai vendu ma gentilhommière de Glomel qui, au fil du temps et de mes créations
foutraques, était devenue une caverne d’Ali Baba.
Grignoté de partout par un crabe très malin –même si, pour le calmer, je lui
accorde encore quotidiennement sa petite ration de miel ou de confitures- je me
traîne, depuis peu, en chaise roulante et morphine, au Cèdre, Ephad diocésain
de St Brieuc, qui, en pénurie de vieux curés, accepte désormais des civils, des
femmes, des mécréants et des parpaillots – devinez à quel catégorie j’émarge ?-
Les vieux curés (environ la moitié des pensionnaires de l’Ephad) n’ont
jamais trop été dans la performance ou la compétition. Ça repose.
Un personnel dévoué est aux petits soins pour nous. Ce n’est d’ailleurs qu’un
retour aux sources : deux, trois années de grand séminaire à la fin des années
50 (ce qui me fait connaître beaucoup de monde ici) et ensuite dix ans
chez les dominicains au couvent de la Tourette – construit près de Lyon par Le
Corbusier. Je les remercie tous de ce compagnonnage. J’en suis sorti avant mes
voeux, agnostique, mais tolérant. J’aurais pu être évêque…
Je peux enfin faire lève rames en savourant l’inversion des valeurs prônées par
le sermon sur la montagne (les Béatitudes) dont l’église semble avoir égaré le
texte. François est sur la piste.
Gorgé de morphine, à en faire pâlir Verlaine ou Rimbaud, j’en suis à mon
dernier ricochet avant de faire plouf, ce qui est aussi une image très
poétique, et ai demandé à bénéficier de la loi Leonetti (2016) sur
la fin de vie, ce que chacun d’entre vous peut faire aussi, l’Ankou
frappant aussi bien à la porte des jeunes que des vieux. Au passage : essayez
de choisir une “personne de confiance” à l’extérieur de la famille, ce qui, sur
la toute fin, au moment de décider une augmentation de la dose pour calmer la
douleur, épargnera à vos proches lar responsabilité d’une décision difficile
(cf affaire Lambert).
“Je vais aux fleurs la paix dans l’âme” et, avant d’exploser, telle une étoile
(que ne suis pas) en quelque galaxie (je ne sais trop laquelle… il y en a des
milliards, mais aucune ne s’éteint progressivement, elles éclatent dans une
débauche de lumière), je tiens à vous remercier pour cette rencontre,
ancienne ou récente, éphémère ou profonde, tendre ou orageuse, avec vous.
“Rien ne se perd, tout se transforme” (Lavoisier)
J’ai pris mes dispositions : Hermès, le messager du Dieu Internet,
vous apprendra bientôt mon envol, à la page d’accueil de mon site (allez voir
de temps en temps, l’adresse est plus bas) ou sur le journal. La petite
cérémonie de départ aura lieu à la salle des fêtes de Kergrist-Moëlou, ma
commune natale, avec mise en terre au cimetière de Saint Lubin. Excusez-moi de
ne pouvoir encore vous donner le jour et l’heure précises. Rengainez vos peurs
et vos pleurs, cet envol se voudra joyeux.
En ouvrier consciencieux (?), j’espère auparavant terminer deux
bouquins dont je ne verrai pas la publication :
– ”Guide secret des Monts d’Arrée”, dont la sortie aux éditions
Ouest-France est prévue pour le printemps 2020.
– ”Tango avec l’Ankou”, une chronique posthume, plutôt gaie, qui ne sera
publiée qu’après ma mort aux éditions Montagnes Noires (éditeur des Bagnards,
mon best seller).
… Au total une trentaine de bouquins dont il ne restera rien. Pourquoi s’en
faire ? La vie sans moi continuera… un certain temps seulement, car se
profile à l’horizon, pour dans une quinzaine d’années prédisent certains
scientifiques, ce collapsus, qui fait écrire à Yves Paccalet,
adjoint du commandant Cousteau, “L’Humanité disparaîtra, bon débarras”.
Pardonnes-moi, chers petits enfants d’être si cynique en vous laissant un monde
aussi pourri.
“Vanité des vanités, tout est vanités…” (livre de la Sagesse)
NB
-1- Je n’ai pas bien vérifié mes listes d’adresses, à part celle de Yann Fanch
Kemener, que j’ai supprimée, croyant qu’il était mort. Veuillez m’excuser
d’éventuels doublons.
-2- Ne me téléphonez pas : la morphine n’a pas amélioré mon audition. Je ne me
vois pas non plus répondre à plus de 800 mails. À raison de deux par jour
(ma capacité actuelle, car mes yeux s’embrouillent et je m’endors sur le
clavier), j’y serais encore dans un an, sans pouvoir donner priorité à mes
proches.
Jean Kergrist
http://www.jeankergrist.com/
19 commentaires
chevallier · 4 novembre 2019 à 17 h 09 min
Il va nous faire une sacré foire à St Lubin le clown agricole, le clown atomique, le clown de tous les combats. La Bretagne perd un grand !
Thevenet · 4 novembre 2019 à 18 h 40 min
Dans les îles ou l’age s’efface je vous souhaite la paix divine Mr Kergrist, ce message est très fort et courageux, respect.
Gwilc'her sofi · 4 novembre 2019 à 20 h 05 min
À bientôt Jean, sur la piste aux étoiles…fous et poètes se retrouveront..
Jégat Lucine · 4 novembre 2019 à 20 h 17 min
Vous êtes sûre de cette info ? Parce que le mail tourne, mais avez-vous une info précise autre que la lettre de Jean Kergrist. Rien n’est indiqué sur son site en tout cas.
MCB · 4 novembre 2019 à 22 h 33 min
Sûre de quelle info? Que Jean a écrit cette lettre? Oui. Mais attention, il n’est pas décédé!
resmond david · 4 novembre 2019 à 23 h 03 min
Non il est vivant…
Granger · 4 novembre 2019 à 21 h 25 min
Merci à Jean pour sa belle personne clownesque, poétique et heureuse…toujours sourire, c’était Jean. Bon voyage !
Ciciani Franca · 4 novembre 2019 à 22 h 03 min
Que de rires et de bons moments passé dans la grange à Glomel, je suis certaine que comme la pape vous allez encore voyager autour de nous pour nous étonner. Si vous êtes de l’autre coté nous serons heureux d’un jour vous retrouver. Kenavo…
MCB · 4 novembre 2019 à 22 h 37 min
Chère Ciciani Franca, avez-vous bien compris que Jean n’est pas encore passé de l’autre côté? Je me permets de vous le préciser car on m’a dit que suite à mon billet, des gens ont contacté la famille pour présenter leurs condoléances…
Tillon · 4 novembre 2019 à 22 h 56 min
Merci pour tout Jean, ta poésie, ton humour, ton impertinence. Merci pour tes écrits, pour tes spectacles, pour tes engagements, pour ta militance. Merci de nous avoir bousculés, de nous avoir ouvert les yeux, de nous avoir donné l’énergie des combats. Merci pour ce que tu es, et merci pour ton amitié. Kenavo mon ami
Del pino · 4 novembre 2019 à 23 h 56 min
Grosses bises jean le tambours de marion du faouet te salue et te souhaite la force pour finir tes livres et bon voyage… Bises eddy
langlois maurice · 5 novembre 2019 à 9 h 25 min
heureux d’avoir bénéficié de moments clownesques de haute volée
je te souhaite une belle « mort fine »
et te salue bien bas, tout haut
marie thérèse puginier · 5 novembre 2019 à 21 h 15 min
Quelle belle lettre! Merci!
asso EPHATA · 7 novembre 2019 à 19 h 30 min
Merci ++ Jean !
Magnifique lettre pleine d’humanité, d’humilité et d’humour , les trois mamelles de la vie humaine extra-ordinaire….
Estimons-nous les uns les autres, nom de Zeus !
Bises bzh
Jacques et l’équipe
de Beaulieu Olivier · 7 novembre 2019 à 22 h 39 min
Du couvent de la Tourette, il nous aura ramené le syndrome bien connu. Aujourd’hui au Cèdre, à St Brieuc, j’espère qu’il aura croisé le père Corentin Paillardon, de très loin son aîné, mais aussi original que lui, et qui acheta sur ses deniers en 1955, un petit car rouge pour que les élèves de St Quihouiët puissent aller à l’école. Ça vaut bien ce petit nez rouge de Jean, qui nous aura tant instruit en pouffant.
« Qui a vu un petit enfant éclater de rire a tout vu de cette vie » (Christian Bobin). C’est le côté enfant de Jean qui est éternel, et lui ouvrira TOUTES les portes.
Morin Michel · 8 novembre 2019 à 9 h 58 min
Merci Jean, merci l’artiste, toi qui a su nous faire rire avec des thèmes oh combien serieux. Comme par hasard, je suis à lire »Les bagnards ducanal de Nantes à Brest.
Pierrick le gall · 16 novembre 2019 à 3 h 14 min
La première fois que j’ai rencontré Jean, c’était à intermarché oû il était venu dédicacer son dernier livre. Comme il s’ennuyait à sa table, car les cons-ommateurs étaient plus pressés de remplir leurs caddies de merdes OGM que de se cultiver, on a pu discuter plus d’une heure. Il m’a alors raconté le drame des bagnards du canal. Une semaine plus tard, il me faisait le privilège de m’accompagner sur les lieux de la grande tranchee, où il souhaitait créer un mémorial. Ensuite , on se croisait régulièrement aux fêtes du livre (Mellionnec, Carhaix, Faouet, etc) et lors de ses spectacles caustiques et drôles (comme celui ou il réglait des comptes aux faux culs du Vatican). Après des études au grand séminaire, il avait choisi la défense de l’écologie plutôt que celle du goupillon. Toujours prêt à se battre pour dénoncer le nucléaire, les algues vertes, les porcheries industrielles, il restera dans mon coeur le « clown atomique » qui avait gardé sa fougue d’ado. Malheureusement l’Ankou ne respecte pas les poètes.
ADIEU JEAN MON AMI…
Ni Dieu, ni maître.
YANN DELACOSTE
journaliste Free lance.
Geneviève Fichou · 16 novembre 2019 à 18 h 52 min
» je tiens à vous remercier pour cette rencontre, ancienne ou récente, éphémère ou profonde, tendre ou orageuse, avec vous. » voilà ce que je retiens comme message de la part de Jean.
Car oui, Jean, Je t’ai rencontré il y a environ 50 ans dans les monts d’Arrée, à ton spectacle du clown atomique , puis à Angers, puis dans le centre Bretagne de multiples fois .Et c’est comme si tout un pan de ma vie dégringole , car ces rencontres ponctuaient les temps de vie, de lieu en lieu…
Car oui, On ne peut rester indifférent à Jean Kergrist le clown, non pas le clown qu’on voit au cirque , dont j’ai horreur, mais le clown génial et absolument nécessaire à notre société de merde.
alors Kenavo l’ami, à se revoir sur quelques sentes intergalactiques. Et MERCI.
David Le Gall · 23 novembre 2019 à 5 h 22 min
Jean Kergrist et moi c’est une courte aventure. J’ai passé trois heures en sa compagnie sans qu’un mot ne soit prononcé. Il y a des gens comme ça qui ne se font pas remarquer parcequ’ils ont vécu, comme lui, dans la solitude.J’etais jeune et arrogant. Son silence m a remis à ma place.l’exacte place où je devais me trouver, face au néant de ma bêtise. Adieu Jean et merci.