Ouate ! Un gigot bitume… ouatizite ? Ah, il faut vraiment être architecte pour avoir entendu parler de ce rite d’exception qui marque la fin de certains chantiers.

Le « gigot bitume » est un gigot enveloppé dans du papier kraft et du papier d’aluminium et cuit dans un bain de bitume en fusion. C’est une recette traditionnelle en France lors de repas célébrant la fin du gros œuvre d’un chantier. Jadis nommée “gigot cuit dans le goudron.“, la recette apparaît dans le recueil « La Vraie cuisine pratique : Les potages, les poissons, le bœuf, le veau, l’agneau, le mouton, le porc, la volaille, le gibier », où il est écrit : « Voici un mode bizarre de cuisson qui peut rendre service à bien des travailleurs. Dans la chaudière pleine d’asphalte, lorsqu’on bitume le sol, plongez un gigot enveloppé dans du papier très fort. A l’aide d’une pierre attachée à son extrémité, on l’entraîne au milieu du goudron. Une heure de cuisson donne une viande cuite à point et d’un goût particulier excellent. Saler en sortant du feu. ».

L’usage de ce type de cuisson,  réservée alors aux travailleurs de l’asphalte, existait donc à la toute fin du 19ème siècle.

(source https://www.lesmaconsparisiens.fr/batiment/la-tradition-du-gigot-bitume/)

Perso, j’en ai connu un, lors de la fin du chantier d’étanchéité d’Oceanopolis à Brest. Imaginez sous un soleil radieux, sur le toit de ce beau bâtiment, en compagnie de son (tout aussi beau) concepteur Jacques Rougerie. Le « cuisinier bitumier » avait enduit le gigot avant l’emballage d’herbes et d’épices selon sa recette secrète, avant de le plonger dans le bitume où il cuit à l’étouffée dans sa protection hermétique, mêlant ses sucs et les saveurs de la marinade. Un régal !

Gigot bitume, c’est aussi le nom d’un livre qui vient de sortir. Un peu intriguée par ce titre inattendu, je me jette dans la lecture de ce qui est en fait le récit de 30 ans de la vie d’une agence d’architecture, SRA. Pas de royale altesse dans cet acronyme mais d’abord le S de Saubot, pour Roger Saubot https://fr.wikipedia.org/wiki/Roger_Saubot fils de Jean, une dynastie d’architectes partie de Pau. Avec Jullien, Saubot s’est lancé dans un duo original, positionné sur une pratique de partenariat interagence qui œuvra aux méga-projets des années 70. Associés à de grosses agences (souvent nord-américaines), ils travaillèrent sur la tour Fiat et la tour ELF à la Défense, sur « Challenger », le siège du groupe Bouygues à Guyancourt et sur le chantier Opera Bastille. Onze tours, un million de mètres carrés de planchers de bureau et leur nom ne me dit rien ! Là, j’ai réalisé que plus c’est grand, moins on sait qui l’a fait. Tout juste si j’étais capable de citer Beaudouin, co-concepteur de la tour Montparnasse – d’ailleurs associé à Jean Saubot + Urbain Cassan et Louis-Gabriel de Hoÿm de Marien.

A la fermeture du bouquin, au terme d’un long voyage de retour à Rennes en Flixbus (qui m’a fait découvrir que leurs sièges sont plus confortables que ceux des trains Ouigo et que ces trajets donnent l’occasion de se plonger vraiment dans la lecture. Plaisir dont la vitesse de la LGV nous a privés) je ne sais toujours pas ce que signifie l’acronyme SRA mais je me suis régalée à la lecture de « 30 ans de confrontations, de tensions et de joutes » bref 30 ans de la vie d’une agence.

Ce recueil a été co-écrit par Jean-Philippe Hugron, journaliste, diplômé en histoire de l’architecture et Mathilde Cornu architecte. Lauréate du prix des meilleurs diplômes de la Maison de l’architecture Ile-de- France, elle a rejoint rapidement l’agence SRA Architectes sur des grands projets de réhabilitation (Opéra Bastille et Maison de la Radio). Passionnée par l’impact de l’architecture sur les villes et les vies et sensible à l’écriture et l’édition, elle a travaillé également à la création de cet ouvrage.

Gigot bitume est traité en trois thématiques, dont chacune décline les projets de l’agence. Je les présente ici avec des liens pour voir à quoi ça ressemble, et surtout pour entrevoir la folle complexité de l’acte de construire à cette échelle – des chiffres qui donnent le tournis !

1 / Se former

– Tour Elf, devenue tour Total, qualifiée de tour « 3ème génération » quand on aurait tenu compte des erreurs commises par les tours d’avant.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Tour_Total_(Coupole)

–  Challenger, siège de Bouygues, par Kevin Roche, Pritzker 1982 https://fr.wikipedia.org/wiki/Challenger_(b%C3%A2time

–  Les années Frank Gehry, où l’on découvre le processus de construction de l’American Center à Bercy –  devenu la Cinémathèque française. https://www.elle.fr/Deco/Reportages/Les-pros/architecte-Frank-Gehry

2/ s’élever

–  Tour EDF. Elle aussi a changé de nom, c’est désormais la tour Legend https://parisladefense.com/fr/decouvrir/tours/edf

–  Holding Bouygues

–  CMA- CGM

–  Tour First, la plus haute de France (encore ?) https://www.bouygues-construction.com/projet-emblematique/tour-first

–  Challenger

–  Carpe Diem https://parisladefense.com/fr/decouvrir/tours/carpe-diem

–  Tour CBX https://parisladefense.com/fr/decouvrir/tours/cbx

–  Window, une réhab’ qui s’appuie sur le centre commercial les Quatre Temps. https://sra-architectes.com/projets/window-la-defense

3/ se déployer

– Lascaux IV. Concours que Jean Nouvel a perdu … et il l’a eu très mauvaise ! https://www.amc-archi.com/photos/la-grotte-de-lascaux-4-0-par-snohetta-a-montignac,5844/centre-international-de-l-art.1

–  Samaritaine https://sra-architectes.com/projets/la-samaritaine

–  Challenger 1.3

–  Galeries Lafayette, aux Champs-élysées https://sra-architectes.com/projets/galeries-lafayette-des-champs-elysees

– Nouveau siège du journal Le Monde https://archicree.com/actualites/le-nouveau-siege-du-groupe-le-monde-imprime-dans-le-tissu-urbain-parisien/

Un cahier d’images avec photos, crobards et coupures de presse accompagnent cette lecture fort intéressante, accessible aussi en version anglaise (of course, quand on voit les liens avec les agences nord-américaines).

 www.epure-editions.com

Conception graphique : Mathilde Fiant
Nombre de pages : 326
Prix de vente en librairie : 28 €


1 commentaire

marc · 29 mai 2022 à 13 h 30 min

Merci Marie-Christine pour la mine d’information et de références que procure le parcours de SRA….
Saubot et Julien m’étaient connus et je retrouve dans les multiples détails de façades la patte de mes ex-associés du Groupe Arcora, devenus plus simplement Arcora depuis 1990, puis associés à Ingérop peu de temps avant la retraite de Dominique Q..
@+

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